La fourmi demanda quelque soir à la rose;
« Pourquoi faut-il mourir? » La belle fleur frémit:
« Je ne le sais, fourmi, lui dit-elle et je n'ose
Songer à cet instant où tout sombre et finit.
Va demander au chêne; il te dira peut-être
Pourquoi, s'il faut mourir, il faut quand même naître. »
La fourmi s'en alla vers le chêne géant:
« On doit savoir beaucoup, chêne, quand on est grand,
Dit-elle; réponds-moi: pourquoi faut-il mourir?
Il serait si beau d'être et de ne point finir! »
Mais l'arbre tristement branla sa haute cime:
« Comment saurais-je ça, fourmi, pauvre être infime
Que je suis? Va plus haut, arrête le nuage;
Peut-être qu'il pourra t'en dire davantage. »
La fourmi s'en alla: « O nuage, dis-moi,
Tu dois bien en savoir la raison, dis, pourquoi
Devons-nous tous mourir et quitter cette terre?
Exister est si doux; mourir est chose amère! »
Le nuage pleura: « Va demander plus haut
Pourquoi nous devons tous disparaître si tôt;
Je ne fais que passer..., la lune dans la nue
Peut-être le saura; ce soir, à sa venue,
Va la questionner. » Quand l'astre de la nuit
Sur la terre jeta son doux regard qui luit,
La fourmi s'avança: « Belle lune, dit-elle,
Dis-moi, sais-tu pourquoi tu n'es pas immortelle? »
La lune soupira: « Monte jusqu'au soleil,
Il est plus grand que moi, va guetter son réveil. »
Quand le jour fut venu: « Soleil dit la fourmi,
Pourquoi faut-il mourir? On est si bien ici. »
L'astre du jour pâlit: « Ah! demande à l'étoile!
Pour elle, elle si haut, le ciel n'a point de voile. »
Mais les astres brillants, à la voûte du ciel,
Dirent: « Demande à Dieu, lui seul est éternel! »

Bevaix, 2 juillet 1879.