Louisa Paulin (1888-1944)

Quelquefois, dans la nuit, une bête sauvage
galope, en mon sommeil, dans les forêts du songe
et moi, contre son flanc, je vais toute pareille.
Rien ne peut arrêter la course fraternelle
de nos sabots, unis dans un rythme d’amour.
Nous nageons dans le vent comme dans une eau vive,
la neige des torrents porte nos bonds joyeux,
nous traversons les troncs lisses et vaporeux
des hêtres qui n’ont plus leur densité native.
Quelquefois, nous luttons, poitrine sur poitrine
mélangeant nos deux corps ductiles et légers,
et nos bouches alors connaissent des baisers
lents et silencieux comme ceux des racines.
Quelquefois nous dansons au repos des clairières
qui sont des lacs de lune ou de douceur stellaire.
Quelquefois nous courons sur de blancs promontoires
dominant des vallées de brouillards accroupis ;

nos sabots font un bruit de fins galets d’ivoire
comme s’ils résonnaient aux rives de la nuit.
Puis l’enivrante odeur d’une source prochaine
oriente nos fronts rayonnants de désir ;
nous buvons à longs traits la force souterraine
et le mystère vif de l’eau à sa naissance.
Nous ruisselons de vie allègre et de puissance ;
rien ne peut altérer la souveraine aisance
de nos corps délivrés du lourd passé humain.
Ô lointains souvenirs des forêts maternelles
qui jaillissent touffus à l’ombre du sommeil,
où le corps libéré se souvient de ses ailes,
où l’âme jeune et nue, ivre de merveilleux,
se rappelle un amour qui enfantait des dieux.