Avec son ventre creux et ses poils en broussailles,
Il erre, le vieux chat sans gîte, — trébuchant,
Tout meurtri, fuyant l’homme imbécile et méchant,
Ayant dans ses yeux verts l’éclair des représailles.

Il est sale, il est laid, — en son barbare orgueil
Le boutiquier cruel l’injurie et le chasse.
Lorsque, mourant de faim, il vient, de guerre lasse.
Piteux et résigné, s’accroupir à son seuil.

On lance contre le maudit les chiens serviles.
Lorsqu’il boit, anxieux, l’eau noire des ruisseaux...
Pourtant il a connu jadis les bons morceaux,
Le confort, à l’abri des méchancetés viles.

Des mains fines, des mains charmantes autrefois
L’ont caressé tandis que le vague des rêves
Emplissait ses grands yeux, couleur d’algue des grèves,
Ses yeux profonds et purs, parlants comme des voix.

Alors c’était un chat superbe, aimé des maîtres,
Ayant, l’hiver, pour lit un édredon soyeux.
Un chat qu’on aimait voir, dans les rires joyeux,
Voler le fil, grimper aux rideaux des fenêtres,

Cabrioler ainsi qu’un clown sur les tapis.
Et, dans ses jeux bruyants et fous de cache-cache.
S’effacer, ne montrant qu’un soupçon de moustache.
Comme les grands félins dans les jungles tapis.

Hélas ! le maître est mort, puis la chère maîtresse,
Et, bien que des amis dévoués et pieux
Aient voulu l’emmener ailleurs, il aima mieux
Près de l’ancien logis le deuil et la détresse.

Et lorsque nul passant ne marche plus dehors.
Qu’il peut dormir au seuil de son ancienne porte.
Dans le songe très doux que le sommeil apporte,
Le vieux chat désolé rêve des maîtres morts !