Écoute dans ton cœur la fantaisie ailée ;
Prête à prendre son vol, elle chante et sourit.
Laisse dormir au fond de ton âme troublée
Le deuil silencieux à la tête voilée ;
La fantaisie est là qui t’appelle et qui fuit.
Pars, vole aussi, suis-la ; la joie est fugitive
Comme la fantaisie ; et comme elle craintive,
Cachant son jeune front sous l’or de ses cheveux,
Son beau sein sous les plis de sa robe entr’ouverte,
Timide et prête à fuir à la première alerte,
Elle vient à pas lents comme marchent les dieux.
Vois, sa main nous fait signe, il faut qu’on lui réponde ;
Elle s’éloignera, laissant vide le monde,
Si nous n’entendons pas l’appel mystérieux.
Eh bien ! qu’elle s’éloigne et cherche dans l’espace
Un sol vierge où poser son pied quand elle passe,
Sans déchirer sa chair aux ronces des buissons ;
Qu’elle regarde au ciel l’aurore qui se lève,
Pour conduire en dansant jusqu’au pays du rêve
Son cortège léger de rire et de chansons !
Nous, trop instruits déjà des douleurs de la vie,
Tout en suivant son vol avec des yeux d’envie,
Tristes, nous resterons attachés ici-bas ;
Nous la verrons partir, et ne la suivrons pas.
Écoute dans ton cœur chanter la fantaisie ;
Tu résistes en vain, ta souffrance s’endort ;
L’aile ouverte au soleil, la blanche Poésie,
Debout, les yeux brillants, souriant sans effort,
Est prête à l’emporter dans sa route divine.
Ouvre tes bras jaloux croisés sur ta poitrine ;
Écoute enfin, souris, laisse dormir ton cœur ;
Comme sur un tombeau refermes-y la pierre ;
Aspire à pleins poumons la vie et la lumière ;
Nourris-toi pour un temps de l’ombre du bonheur.
Une ombre, tu l’as dit, hélas ! un heureux songe
Qui caresse, qui berce et trompe ; un songe vain
Dont la voix décevante et les yeux de mensonge
Nous leurrent par l’appas d’un mirage divin.
Ô songe effacé ! chère et furtive apparence !
Et moi peut-être aussi, la joyeuse espérance
A bercé dans ses bras mes rêves amoureux ;
Peut-être qu’autrefois, le cœur plein de folie,
Aux instants fugitifs où la raison s’oublie,
J’ai cru que l’homme avait le pouvoir d’être heureux.
Écoute dans ton cœur cette voix triomphale.
Comme rit la nature à l’aube matinale,
Ainsi les doux regards de l’espérance en fleur
Font revivre ton âme et taire ta douleur.
Viens aux pays lointains, ton espoir, ta patrie ;
Viens fouler de tes pas une terre fleurie ;
Viens posséder les biens qui ne périront plus :
Viens où Platon, l’amant immortel des Idées,
Sent vivre en lui, du jour qu’il les a possédées,
L’impérissable amour des êtres absolus.
Mes pieds se sont meurtris aux pierres de la route ;
Aux rayons de la foi j’ai marché jusqu’au soir ;
La foi s’est envolée, et voici que le doute
Se lève sur ma vie, et fait mon ciel plus noir.
Je ne vois plus là-haut mon étoile fidèle.
Ah ! quand le vol puissant de l’Idée éternelle
Passait sur moi, pareil au souffle de la mer,
Alors brûlait d’amour mon âme soulevée,
Et je voyais, longtemps pressentie et rêvée,
La sainte Vérité surgir comme un éclair.
Écoute dans ton cœur la foi mystérieuse ;
Cherche dans les débris de ta pensée en deuil ;
Tu la retrouveras, cette fleur précieuse,
Comme un bijou caché dans les os d’un cercueil.
Songe à la vérité, ta loi, ta nourriture ;
Vois sourire et durer la sereine nature ;
Vois comme la lumière en baigne les contours ;
Vois la beauté, l’amour, la joie et l’harmonie
Répandent sur son sein une paix infinie,
Et leurs hymnes divins la berceront toujours.
Ni les champs, ni les bois, ni le ciel, ni la terre,
Ne calmeront jamais l’angoisse de l’esprit,
Sa soif de vérité que rien ne désaltère,
Sa blessure, que nul remède ne guérit.
Il fouille la nature, il torture les choses,
Remuant le chaos des effets et des causes,
Sans étreindre le corps de la réalité.
L’espace entend gémir dans ses routes profondes
Cet éternel soupir qui s’exhale des mondes,
Et ce cri de douleur que l’Esprit a jeté.
Écoute dans ton cœur l’indomptable Pensée.
Si parfois elle hésite, inquiète et lassée,
Les yeux perdus au fond de l’horizon lointain,
Pleine d’incertitude et cherchant son chemin,
Songe à l’arrêt de l’aigle, à son divin vertige,
Quand, sur les pics aigus où son vol le dirige,
A cette heure où surgit le matin glorieux,
Il se pose soudain, ayant dans ses prunelles
Le resplendissement des neiges éternelles,
Et les brûlants rayons de la clarté des cieux.
Que Platon, que Hegel, ces rois d’intelligence,
Élus à qui Dieu fait pressentir son essence,
Embrassant l’infini de leur vol large et sûr,
S’arrêtent tout à coup, pleins de trouble et de joie,
Et, voyant rayonner au loin leur sainte proie,
N’osent, simples mortels, toucher à l’Esprit pur :
Ainsi tremble l’amant devant la bien-aimée ;
Il sent mourir son âme éperdue et charmée ;
Sa force l’abandonne et sa parole a fui :
Mais il la voit sourire, et sait qu’elle est à lui.
Rouvrez vos yeux ravis, allez, esprits sublimes.
Il est à vous, l’air pur qui passe sur les cimes,
À vous l’espace libre, à vous la vérité,
Le soleil des esprits, le bien intelligible,
Inconnu de la terre, ineffable, intangible,
Éblouissant de gloire en son éternité.
Mais nous, esprits obscurs rampant dans la poussière,
Qui nous enseignera les routes de lumière ?
Le froid tombe d’en haut sur nos fronts en sueur ;
Nos pieds saignent encor, déchirés aux épines ;
Le sol fuit sous nos pas, l’air manque à nos poitrines ;
Nous distinguons à peine une faible lueur.
Ô déserts de l’esprit ! solitude glacée !
Comme pèse ce vide à notre âme lassée !
Que la nuée est sombre et hautains les sommets
Où nos pas épuisés ne marcheront jamais !
À toi, vérité pure, à vous, clartés sereines,
Notre sanglant amour, vraie âme de nos veines,
À vous nos longs appels, notre éternel désir,
Nos bras désespérés ouverts pour vous saisir.
Mais comme vous tardez, déesses, à descendre !
Oh ! sous le ciel muet si je pouvais entendre
Le doux bruissement de vos ailes sur moi !
Si la fraîcheur du soir, si la brise légère,
Si le son inconnu d’une voix messagère,
M’apportait un écho d’espérance et de foi !
Ah ! qu’avant de mourir mon âme te salue,
Que mes yeux altérés s’abreuvent de ta vue,
Être éternel et pur, et que mon cœur brûlant
Un jour puisse t’étreindre en son dernier élan !
Mais vous n’exaucez pas, puissances favorables,
Dans votre ciel altier les cris des misérables,
Et bien loin au-dessus des terrestres brouillards,
Le vol de l’aigle seul mérite vos regards.
Écoute dans ton cœur : le chant de la jeunesse
Résonne tout au fond comme un vivant accord ;
Ne te dérobe pas à cette chaude ivresse ;
Marche les yeux fermés, laisse-toi prendre encor.
Cueille sur ton chemin les blanches fleurs du songe,
Cueille, et si ton erreur divine se prolonge,
C’est un gain sur la mort qui voudrait t’engloutir.
Ah ! ne la laisse pas porter ses mains fatales
Sur ces fleurs de ton rêve, et flétrir ces pétales
Dont l’odeur enivrante est si douce à sentir !
Non, ma jeunesse est morte et les fleurs sont flétries ;
Le soir tombe en silence et les chants ont cessé ;
Mon cœur aussi se tait ; vois dans mes mains meurtries
Achever de mourir ces débris du passé.
Ah ! quand je serai cendre et poussière moi-même,
Quand pour mes yeux éteints viendra la nuit suprême,
Puisse un dieu favorable accorder à mes os
Et le même silence, et le même repos.
Écoute en toi l’orgueil, muette sentinelle,
Qui veille tout armée aux portes de ton cœur,
Opposant à l’assaut de la force éternelle
Un éternel refus plus fort que la douleur.
N’as-tu pas conservé ta volonté profonde
Qui peut seule, debout, se dresser sur le monde,
Quand la foi croule et meurt, quand l’espérance a fui,
Et dire tout haut « Non », quand l’univers dit « Oui » ?
Asile inviolé des heures de détresse !
Rentre, âme triomphante, en cette forteresse.
Exerce en souveraine un vouloir absolu ;
Maîtresse du royaume où les dieux t’ont placée,
Ne livre pas ta triste et hautaine pensée ;
Sois un vivant mystère où nul œil n’aura lu.
Et quand le jour viendra de la fin de ta vie,
Pars libre, sans regret, sans plainte, sans envie ;
En silence, à celui pour qui tu la gardais,
Rends cette place forte où tu te défendais ;
Rends les troupes aussi qu’il t’avait confiées,
Et sors, tambours battants, enseignes déployées.
Viens donc, ô cher silence, ensevelir mon cœur !
Adversaire invaincu d’un sort inexorable,
Refuge toujours sûr, ami, libérateur,
Viens, cache ma pensée, ô voile favorable !
Sur mon rêve détruit, sur mon jaloux orgueil,
Je laisserai tomber la pierre du cercueil.
Qu’en cette obscurité mon âme se repose !
Elle n’attend plus rien d’un inutile effort ;
Mais toi, tu survivras dans cette tombe close,
Soupir inconsolé, désir poignant et fort,
Secret appel, amour fait pour étreindre un monde,
Chaude aspiration, plainte sourde et profonde
Qu’à peine apaisera le calme de la mort.