L’Infini sur ma tête ; au-dessous, l’Infini encore ; et au milieu, ce bruit des rues, ces hommes et ces femmes, toutes ces fanges : quel rêve ! Et qui le fait donc ? — moi, mon cerveau malade, ou, à la fois, le cerveau malade de l’Infini, et le mien !


Si, en vérité, chaque être est un point entre deux éternités et deux infinis, le fou, l’assassin, le goîtreux ou la prostituée, chacun de ces êtres a donc l’honneur d’être un point qui partage l’éternité et l’infini ?

Et penser que, si Dieu est, tout cela et Dieu vivent en même temps, à la même heure, l’un dans l’autre !


Le Soleil est là-haut, ainsi qu’un ménétrier qui conduit la danse, et ses rayons s’épanchent comme des sons joyeux.

Le vieux Soleil, il veut qu’on rie ; le vieux ménétrier veut qu’on chante ; mais, je ne sais pourquoi, le bal est triste et l’on s’ennuie.


Du vieux papier on fait du neuf, et des morts se font les vivants, et toujours ainsi, jusqu’à la fin des siècles ! Or, si tout cela n’est que cela, néant pour néant, ne valait-il pas mieux le néant calme ?


C’était sur une place où la lune luisait : un vieil homme en guenilles montrait pour quelques sous les étoiles, et dans un grain de blé tout un étrange monde d’infusoires. On voyait, comme des reines, les étoiles marcher, et, comme des manants, les bêtes du grain de blé se manger l’une l’autre. De l’infiniment grand à l’infiniment petit ainsi l’on allait tour à tour, étonné de ces deux abîmes, épouvanté de ces deux silences, — entre lesquels l’oreille percevait le bruit des rues et le cri du vieil homme en guenilles, à qui ces infinis faisaient gagner des sous.

Ainsi le poëte, à qui le spectacle des choses fait gagner si péniblement quelques pensées et quelques rêves.


Au retour de ces voyages que certaines pensées font dans l’infini, dans ces espaces habités seulement par l’Idée, c’est pour elles une incompréhensible vision, que celle de ce monde réel. Les maladies du corps et de l’âme, les laideurs, les monstruosités, les crimes, les prostitutions, toutes les lâchetés et toutes les folies terrestres, toutes ces tragédies terribles ou ces comédies ridicules, qu’éclairent tranquillement tour à tour le soleil d’or ou la lune pâle, tout ce spectacle enfin, cette danse macabre, cette comédie plus infernale que divine, font qu’elles se demandent, ne pouvant croire que tant d’horreurs soient vraies, si elles ne sont pas sous l’empire d’une hallucination bizarre, d’un rêve sans doute maladif, qui les torture, mais qui leur ment.


Au milieu de l’infini tranquille, sous la paix qui tombe des étoiles, nos meurtres, nos crimes, nos hontes ! — Cela me rappelle, en je ne sais quel drame, une situation terrible, qu’accompagnait un air de flûte.


Dieu du ciel, ne souffres-tu pas de voir toujours l’homme traverser ton rêve ?


Si nous étions tes fils, pourquoi condamnerais-tu des dieux aux humiliations de la vie ? Pourquoi leur infligerais-tu la honte de nourrir leur ventre ?


Serions-nous des âmes repoussées par Lui, et expiant leurs crimes sous des formes humaines ou des formes plus viles d’animaux inférieurs ? Serions-nous des maudits, des Elohims condamnés, et qui de monde en monde chassés, poursuivis, foudroyés, aurions roulé jusqu’ici-bas ?


Ô Toi, qui ne peux cesser d’être, et ne peux reposer à l’ombre du sommeil ou de la mort ta vieille pensée qui toujours rêve, ne trouves-tu pas, Seigneur, l’éternité trop longue ?


Pour qui est ce monde ? Pour nous ? Mais à peine arrivés, nous ne songeons qu’à nous distraire, qu’à nous arracher au lourd ennui de vivre, au poids des heures monotones.

Pour Dieu ? Mais quel est le Dieu, qu’un tel spectacle amuse ?


Fallait-il vraiment une telle mise en scène, tant de lustres, d’étoiles, et de tels décors ?


Quelle étrange chose que la vie ! un ange, quand on l’épouse ; puis l’ange fait une vieille femme, laide, et sotte, et maussade, qu’il faut garder quand même !


Nous portons tous, comme le vieil Atlas, le poids de plusieurs cieux, l’ennui de plusieurs siècles, et je crois par instants que l’Infini même ne travaille que pour se distraire.


La vie est un poison, rapide ou lent, mais qui, grâce à Dieu, tue toujours.


En pleine mer, j’ai souvent pris plaisir à me perdre par la pensée dans le gouffre qui était sous moi, à descendre en ces profondeurs insondables, où nagent des monstres inconnus, où s’épanouissent des fleurs et des coquillages ignorés, et où le remous par instants soulève de muets cadavres, débris d’anciens naufrages. — La terre, comme un vaisseau, nous porte, et, au-dessous, qui osera sonder l’abîme sans fond, horrible, silencieux, où flottent tant d’éternités mortes, et d’antiques cieux naufragés ?


Tel qu’un enfant, perdu la nuit dans une forêt, et qui frissonne et tremble devant la profondeur mystérieuse des ombres, dans cette forêt de l’infini, dont les cimes sont fleuries d’étoiles, parfois je marche égaré et comme fou, épouvanté de son silence, et des regards muets que me jettent les choses.


Tu es entré dans le monde étrange des compositions et des décompositions chimiques : ta vie et ta mort terrestres, agrégations et désagrégations continuelles, jusqu’au jour où il ne restera plus la moindre trace, le moindre souvenir de cette chose immonde qui sera ton cadavre.

Aussi je ne sais quel fou trouvait-il avec raison à cette atmosphère terrestre une désagréable odeur de cimetière, odeur inquiétante, disait-il, et que ne pouvait dissimuler le bizarre et angélique parfum des fleurs. de dans la misère le 26 avril 1945.