L'histoire littéraire et l'histoire nationale ont associé fables et Jean de La Fontaine. C’est oublier de nombreux autres talents. qui se sont illustrés dans cet art, notamment de nombreuses autrices que l’histoire littéraire a tôt fait de jeter aux oubliettes. On peut citer sans être exhaustif quelques unes de ces fabulistes oubliées.


Marie-Catherine de Villedieu (1640-1683), née Desjardins, autrice du XVIIe siècle publia en 1670 un recueil intitulé Fables ou Histoires allégoriques dédiées au roy.

Son œuvre se caractérise par un mélange d'histoire et de fiction. Elle a contribué à populariser le genre des « nouvelles historiques ». Elle excella dans ce genre avec des récits mêlant histoire et intrigue amoureuse.

Marie-Catherine de Villedieu occupa une place importante dans le paysage littéraire du XVIIe siècle, aux côtés d'autres femmes de lettres comme Madame de La Fayette et Mademoiselle de Scudéry. Son œuvre témoigne de la vitalité de la vie littéraire et culturelle de son époque.

En voici une Fable

La Tourterelle et la Ramier

QU’on ne me parle plus d’Amour, ni de Plaisirs,
Disait un jour la triste Tourterelle,
Consacrez-vous mon Âme, à d’éternels soupirs :
J’ai perdu mon Amant fidèle.
Arbres, Ruisseaux, Gazons délicieux,
Vous n’avez plus de charmes pour mes yeux,
Mon Amant a cessé de vivre.
Qu’attendons-nous mon cœur ? Hâtons-nous de le suivre.
Comme on l’eut dit, autrefois on l’eut fait.
Quand nos Peres voulaient peindre un Amour parfait,
La Tourterelle en était le symbole,
Elle suivait toujours son Amant au trépas,
Mais la mode change ici-bas,
De cette constance frivole.
Le Désespoir a perdu son crédit,
Et Tourterelle se console,
S’il faut tenir pour vrai, ce que ma Fable en dit.
Elle prétend, que cette désolée,
A sa juste douleur, voulant être immolée,
Choisis un vieux Palais, vrai séjour de Hiboux ;
Où sans chercher aucune nourriture,
Un prompt trépas était, son espoir le plus doux ;
Mais qui ne sait, qu’en toute conjoncture,
La Providence est plus sage que nous ?
Dans cette demeure sauvage,
Habitait un jeune Ramier,
Houp, patu, de beau plumage,
Et quoi que jeune, vieux Routier
Dans l’Art de soulager, les douleurs du veuvage.
Pour notre Tourterelle, il mit courtoisement,
Ses plus beaux secrets en usage.
La Pauvrette au commencement,
Loin de prêter l’oreille à son langage,
Ne voulait pas, se montrer seulement :
Mais le Ramier, parlant de défunt son Amant,
Insensiblement il l’engage,
A recevoir son compliment.
Ce compliment fut d’une grande force,
Il disait du défunt, toute sorte de bien
Ne blâmait la Veuve de rien ;
Bref, c’était une douce amorce,
Pour attirer un plus long entretien.
Voilà donc la belle Affligée,
En tendres propos engagés :
Elle tombe sur le discours,
De l’histoire de ses Amours :
Dépeint, non sans cris, & sans larmes,
Du pauvre Trépassé, les vertus & les charmes :
Et ne croyant par là, que flatter sa douleur,
Elle apprit au Ramier, le chemin de son cœur.
Par ce que le Défunt avait fait pour lui plaire,
Il comprit ce qu’il fallait faire.
Il était copiste entendu,
Il sut si dextrement, imiter son modèle,
Que dans peu notre Tourterelle,
Crût retrouver en lui, ce qu’elle avait perdu.

 


Marie-Amable Petiteau  (1736-1816) publia au Mercure de France de nombreux textes.

Egalement connue sous le nom de Madame de La Ferandière, elle était une poétesse et fabuliste française.

En 1806, à l'âge de 70 ans, elle publie un recueil de 128 fables et de poèmes. Une seconde édition, augmentée à 168 fables, est parue en 1816, l'année de sa mort.

En voici un extrait intitulé :

 

les deux fauvettes

Une vieille fauvette, et de mauvaise humeur,
De sa jeunesse oubliant la folie,
Grondait sa fille avec beaucoup d’aigreur ;
Sur ses goûts inconstance, sur sa coquetterie.
Vous ne voulez que plaisirs, que chansons,
Lui disait-elle, et votre étourderie
Vous empêche toujours de suivre mes leçons.
De mon temps on aimait l’innocent badinage,
Mais jamais on n’était volage.
Ma mère, contre moi, calmez votre courroux,
Oui, je veux faire comme vous :
Je retiendrai votre langage
Pour le redire un jour à mes enfants.
Car je sais que dans tous les temps
Mère fauvette en fit usage.

 


Augusta Coupey (1838-1913)  était à la fois fabuliste, romancière, poétesse, auteure d'ouvrages pour la jeunesse et compositrice.

Ses fables, souvent empreintes de morale et d'observations sur la société, s'inscrivent dans la tradition des fabulistes classiques.

En voici un extrait

Les Fourmis

Les fourmis sont industrieuses,
Actives et laborieuses ;
Elles amassent pour l’hiver
Le blé, le moucheron, le ver.
Fêtus de foin, fêtus de paille,
Fruits, bois, genêts, fraîche semaille,
S’entassent dans tous leurs celliers,
À faire crouler les piliers.
Mais bête, insecte, humain, n’ont part à ces richesses ;
La fourmi n’a jamais donné ni fait largesses
D’un atome, d’un grain,
Au prochain.
Aussi l’homme détruit les vastes fourmilières,
Écrase sans pitié les milliers d’ouvrières,
Qu’il met avec raison, de son chef, hors la loi,
Car l’on n’est bon à rien quand on n’est bon qu’à soi !

 


Clara Filleul (1822-1878) artiste aux multiples talents : peintre et auteure de contes pour enfants et de récits de voyage. Elle utilisait également les pseudonymes de Mlle Clara Filleul de Pétigny et C. Filleul-Pétigny.

Elle voyagea et travailla en Amérique du sud, ce qui marqua son oeuvre, notament ses écrits de voyages. Ses écrits abordent des thèmes variés, allant des contes moraux pour la jeunesse aux descriptions de paysages et de cultures étrangères. Elle a également écrit sur des sujets historiques et légendaires. 

Elle a également publié des fables regroupé « fables offertes à l’enfance »

En voici un extrait

Le Lion de Florence

L'animal ne raisonne pas,
Disent les uns; d'autres, non sans débats,
Démontrent qu'il raisonne
Mieux que telle ou telle personne.
Un fait doit résoudre aisément
Ce problème et voici comment
On peut donner, d'après l'histoire,
Une preuve notoire,
Que le lion surtout raisonne, est généreux.
Dans Florence, autrefois, une voix formidable
Répandit la terreur :
Un hôte redoutable
Librement parcourait les quartiers populeux
De la riche cité.
Chacun, plein d'épouvante,
Fuyait. De sa prison la bête rugissante
Avait franchi l'enclos, blessé ses gardiens :
L'ancien roi des forêts, hérissant sa crinière
Semblait fier et surpris de bondir sans liens.
Dans ce tumulte affreux, éperdue une mère
Tenait son enfant dans ses bras;
Le lion va l'atteindre... Hélas !
Son fardeau , son trésor tombe oh! comment décrire
Ce moment d'agonie et de poignant délire ?   
Le lion dévorant *
Saisit la faible proie ;
Mais au cri déchirant
De la mère à genoux, il l'abandonne o joie !
L'enfant, sans aucun mal, sur le sein maternel
Aussitôt se rassure :
Un animal cruel
Avait compris la voix, l'accent de la nature.
Je le dis, non sans vifs regrets,
Les hommes prêchent la morale ;
Mais, en grandeur aucun n'égale Le généreux roi des forêts.

 


Felicité de Genlis (1746-1830), autrice à  succès des 18e et 19e siècle composa un recueil appelé : « Herbier moral, ou Recueil de fables nouvelles, et autres poésies fugitives »

Elle fut une figure marquante de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle en France. Elle fut une femme de lettres prolifique, pédagogue influente, et une personnalité mondaine.

Félicité de Genlis fut une femme aux multiples facettes : pédagogue, écrivaine, femme du monde, dont la vie et l'œuvre ont marqué son époque. Son influence sur l'éducation et son rôle dans la société française de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle en font une figure historique importante, bien que quelques peu oubliée. c'est bien dommange car son esprit vif mérite d'etre redecouvert.

En voici un extrait

Les Feuilles

A sa branche attachée, une feuille naissante
Exprimait ainsi son chagrin :
Que j'envie en secret le glorieux destin
De l'heureuse feuille volante,
Qui dans les airs se frayant un chemin.,
Suivant le penchant qui la guide,
Tantôt jusques aux cieux, sur l'aile des Zéphyrs,
Dirige sa course rapide ;
Tantôt cédant à de nouveaux désirs,
Revient s'amuser sur la terre,
Et caresser les fleurs de ce parterre,
Ou voltiger à l'ombre des ormeaux ,
Sur les flots argentés de ces limpides eaux.
Du papillon rivale fortunée,
Qu'elle est douce ta destinée,
Que je le sens, hélas ! moi qui suis pour toujours,
Au fond de ce bosquet sur cet arbre enchaînée !
La branche entendit ce discours :
Ton dépit, dit-elle, se fonde
Sur l'ignorance et sur l'erreur ;
Cesse d'envier le bonheur,
De cette feuille vagabonde ;
Tu la crois libre, et cependant
Elle obéit aveuglément.
Son élan n'est qu'une secousse ;
Quand tu la vois voler, c'est le vent qui la pousse;
Il ne la guide pas, il l'emporte, et toujours
De sa marche égarée il prescrit les détours.
Elle en est à-la-fois l'esclave et la victime ;
Si parmi quelques fleurs il veut bien l'arrêter,
Plus souvent il se plaît à la précipiter,
Et pour jamais, dans le fond d'un abîme.
Ainsi que notre feuille, hélas ! un jeune cœur,
Crédule et sans expérience,
Jouet des passions, cherchant l'indépendance,
Est entraîné par un espoir trompeur.
Sans doute le bonheur suprême ^
Réside dans la liberté;
Mais on ne peut jouir de ce bien si vanté,
Que par l'empire de soi-même.