J’ai rêvé quelque monde asile
D’un tas de petits orphelins,
Quelqu’astre infime et bien tranquille,
Tout rempli de robes de lin,
Des déserts comblés de fleurs blanches,
Presque sans ombres et sans nuit,
Rien que des fleurs et pas de branches,
Rien que des enfants, pas de bruit.
Un soleil dessus doux et triste,
Un grand’ azur, blond, automnal,
Et partout de’ fleurs de batiste
Jusqu’à l’horizon linéal.
Les hirondelles étaient blanches,
Et le vent soulevait partout
Des scintillements d’avalanches,
Comme un grand suaire où l’on coud
Beaucoup d’âmes de petits anges.
Eux, par bandes, ils s’en allaient
Au travers des chemins étranges,
Dans ces neiges qui pullulaient
Ils étaient tous de même taille,
Ils ne riaient jamais, jamais,
Ils n’avaient pas de funérailles
C’était toujours la paix, la paix.
Leur robe serrait la poitrine
Et s’étoffait sur leurs pieds nus,
Calme orphelin, calme orpheline,
Les oubliés, les ingénus.
Et des anges en demoiselles
Leur servaient de bons conducteurs ;
Comme on en met dans les chapelles
Avec des violons chanteurs.
Tout rempli de robes de lin
J’ai rêvé quelque monde asile
D’un tas de petits orphelins.
(le Beau Voyage - 1904)