Tu tapes sur ton chien, tu tapes sur ton âne,
Tu mets un mors à ton cheval.
Férocement tu fais un sceptre de ta canne,
Homme, roi du Règne animal :
Quand tu trouves un veau, tu lui rôtis le foie,
Et bourres son nez de persil ;
Tu tailles dans le bœuf, vieux laboureur qui ploie,
Des biftecks saignants, sur le gril ;
Le mouton t’apparaît comme un gigot possible ;
Et le lièvre comme un civet ;
Le pigeon de Vénus te devient une cible,
Et tu jugules le poulet…
Oh ! le naïf poulet, qui dès l’aube caqueté !
Oh ! le doux canard coincoinnant !
Oh ! le dindon qui glousse, ignorant qu’on apprête
Les truffes de l’embaumement !
Oh ! le porc dévasté, dont tu fais un eunuque,
Et que tu traites de… cochon,
Tandis qu’un mot quadruple et fatal le reluque :
Moné ! Thécel ! Phares ! Jambon !
Tu pilles l’Océan, tu dépeuples les fleuves,
Tu tamises les lacs lointains ;
C’est par toi qu’on a vu tant de limandes veuves
Et tant de brochets orphelins ;
Tu restes insensible aux larmes des sardines
Et des soles au ventre plat ;
Tu déjeunas d’un meurtre, et d’un meurtre tu dînes :
Va souper d’un assassinat.
Massacre par les airs la caille et la bécasse…
Sombre destinée : un salmis !
Tandis qu’un chou cruel guette d’un air bonasse
Le cadavre de là perdrix.
Mais est-ce pour manger seulement que tu frappes,
Dur ensanglanteur de couteaux.
Non. Les ours, les renards, les castors, pris aux trappes,
Sont une mine à paletots ;
Tu saisis le lion, ce roi des noctambules,
Dont le désert s’enorgueillit,
Pour faire de sa peau, sous tes pieds ridicules,
Une humble descente de lit.
Mais le meurtre, c’est peu ; le supplice raffine
Tes plaisirs de dieu maladif.
Et le lapin (nous dit le Livre de cuisine)
Demande qu’on l’écorche vif ;
Et l’écrevisse aura, vive, dans l’eau bouillante,
L’infernal baiser du carmin ;
Et, morne enterrement, l’huître glisse vivante
Au sépulcre de l’abdomen.
Soit ! il viendra le jour lugubre des revanches.
Et l’âpre nuit du châtiment,
Quand tu seras là-bas, entre les quatre planches.
Cloué pour Eternellement.
Oh ! l’Animalité te réserve la peine
De tous les maux jadis soufferts ;
Elle mettra sa joie à te rendre la haine
Dont tu fatiguas l’univers.
Or, elle choisira le plus petit des êtres.
Le plus vil, le plus odieux.
Un ver ! — qui s’en ira pratiquer des fenêtres
Dans les orbites de tes yeux.
Il mangera ta lèvre, avide et sensuelle,
Ta langue et ton palais exquis ;
Il rongera ta gorge et ta panse cruelle,
Et tes intestins mal acquis ;
Il ira dans ton crâne, au siège des pensées,
Dévorer, lambeau par lambeau,
Ce qui fut ton orgueil et tes billevesées :
Les cellules de ton cerveau.
L’âne s’esclaffera, voyant l’Homme de Proie
Devenu Rien dans le grand Tout ;
Le pourceau, dans son bouge infect, aura la joie
D’apprendre ce qu’est le dégoût ;
Et les Bètes riront, dans la langue des Bêtes,
De ce cadavre saccagé
Par la dent des impurs fabricants de squelettes,
Quand le mangeur sera mangé.