breton andré.png, juin 2020

Je regarde la Bête pendant qu'elle se lèche
Pour mieux se confondre avec tout ce qui l'entoure
Ses yeux couleur de houle
A l'improviste sont la mare tirant à elle le linge sale les détritus
Celle qui arrête toujours l'homme
La mare avec sa petite place de l'Opéra dans le ventre
Car la phosphorescence est la clé des yeux de la Bête
Qui se lèche
Et sa langue
Dardée on ne sait à l'avance jamais vers où
Est un carrefour de fournaises
D'en dessous je contemple son palais
Fait de lampes dans des sacs
Et sous la voûte bleu de roi
D'arceaux dédorés en perspective l'un dans l'autre
Pendant que court le souffle fait de la généralisation à l'infini de celui de ces misérables le torse nu qui se produisent sur la place publique avalant des torches à pétrole dans une aigre pluie de sous
Les pustules de la Bête resplendissent de ces hécatombes de jeunes gens dont se gorge le Nombre
Les flancs protégés par les miroitantes écailles que sont les armées
Bombées dont chacune tourne à la perfection sur sa charnière
Bien qu'elles dépendent les unes des autres non moins que les coqs qui s'insultent à l'aurore de fumier à fumier
On touche au défaut de la conscience pourtant certains persistent à soutenir que le jour va naître
La porte j'ai voulu dire la Bête se lèche sous l'aile
Et l'on voit est-ce de rire se convulser des filous au fond d'une taverne
Ce mirage dont on avait fait la bonté se raisonne
C'est un gisement de mercure
Cela pourrait bien se laper d'un seul coup
J'ai cru que la Bête se tournait vers moi j'ai revu la saleté de l'éclair
Qu'elle est blanche dans ses membranes dans le délié de ses bois de bouleaux où s'organise le gilet
Dans les cordages de ses vaisseaux à la proue desquels plonge une femme que les fatigues de l'amour ont parée d'un loup vert
Fausse alerte la Bête garde ses griffes en couronne érectile autour des seins
J'essaie de ne pas trop chanceler quand elle bouge la queue
Qui est à la fois le carrosse biseauté et le coup de fouet
Dans l'odeur suffocante de cicindèle
De sa litière souillée de sang noir et d'or vers la lune elle aiguise une de ses cornes à l'arbre enthousiaste du grief
En se lovant avec des langueurs effrayantes
Flattée
La Bête se lèche le sexe je n'ai rien dit


1940-43
Signe ascendant - Gallimard